samedi 1 janvier 2011

Observations, Olivier



Le métro pris ce matin me donne l'occasion d'une aventure sans doute négligeable dans la logique moderne mais qui me semble pouvoir transformer, dans son aspect de vague parmi une mer se répétant à l'infini, les façons d'être et de se sentir, les capacités à prendre en compte, à approcher le complexe, non pas de chaque être humain, mais d'une certaine catégorie qui serait à nouveau valorisée...

Un individu, bien qu'égaré, peut se trouver facilement chez son prochain qui correspond aux facettes d'un cristal unique, ses faces cachées étant avec les autres cet ensemble de détails dont l'ambition artistique, quand l'humain la réalise facilement, cherche à se dégager, voilant la simplicité humaine comme pouvant l'atteindre, entraînant l'humain vers cette assimilation à l'artificiel, au construit, au morcelé.

On peut considérer par exemple que ce métro me mène à une forme d'abattoir universitaire. Je suis loin en effet de me sentir happé par la matière sensée m'occuper principalement et suis donc sans doute sujet aux attaques malveillantes de l'abruti du savoir. J'exagère volontiers sur cette idée, ont-ils vraiment des oeillères, et considère : rien ne passe par une faculté. La soutenance ne me rend pas, son approche, plus anxieux, de ce fait. Lorsqu'elle arrive une heure plus tard peut-être, je me trouve plutôt gêné par ces transparents, par exemple, ou par ces nombreux yeux, étonnés par ma personne, qui suis comme un poisson depuis bien trop longtemps à l'air libre.

Je suis sensible à ces allers-retours entre être soi et retrouver en soi autrui au point que j'imagine comme un film captivant celui de ma vie solitaire et cette autre forme de moi, qui s'exprime violemment, émerge, que l'on peut distinguer comme un certain sommet nuageux. Ainsi sont trouvés tous les prétextes au manque de guide, autre que celui du chemin de planche dans le sable d'une photo lointaine.

Adieu donc, le temps malheureux, grâce et volupté selon son inverse s'y trouvent, où tout était possible, dans un bonheur structuré. Malheureux comme ne laissant place au changement et entraînant, spirale de douleur, avec mon bonheur, la souffrance des voyants...


J'ai vu longtemps ces quelques rues comme on voit une mer calme et infinie, en rêve, les paysages ou ce qui donne lieu aux marines étant seuls propres à la vraie contemplation. J'ai vu ces détails de visages qui se détachent clairement à travers les brumes de l'alcool. Ces deux choses se rejoignent ainsi, les maisons d'une rue ou les visages de bal de la veille comme s'opposant à l'unité d'une mer depuis telle ou telle plage. Qui a trouvé une raison de ne pas voir autre chose que ces infinis naturels, ou de fuir toujours le conflit des parties réunies ?

Si nous sommes un jour parvenus à un point où, comme pour Aguirre, sur l'Amazone pourtant, l'Océan est plus loin que toute espérance, le chemin accompli comme la lutte pour du meilleur nous sera une caresse entre les coups. Ne sera qu'une caresse ?

Aimer écrire. Aimer lire. Aimer jouer.

Comment sortir de l'excès sans une porte vers l'extrême réussite ?

11 août 2009

Il a été transporté dans cet hôpital. Pendant une journée, on s'est demandé : « Qu'est-ce qu'on fait?» On nous disait : « Il faut qu'il aille dans un établissement psychiatrique, il faut qu'il aille dans un établissement psychiatrique. » On hésitait. Je n'arrivais pas à prendre de décision. Cela a duré pratiquement une journée. Et à la fin de la journée, j'ai fini par signer l'internement. J'ai fini par signer l'internement à Villejuif, l'internement à l'hôpital psychiatrique de Villejuif. Enfin, il arrivait à dire aux infirmiers, il leur disait : « Je suis le grand sorcier, je suis le grand sorcier. » Il sortait des choses tout à fait étonnantes. C'était un peu la caractéristique d'Olivier. De dire des choses qui étonnaient beaucoup les gens. On me disait plus tard, quand il faisait des stages de clarinette en Bretagne, on disait : « Olivier, qu'est-ce que tu nous dis ? » Les gens étaient complètement désarçonnés par ce que leur disait Olivier, ils n'avaient jamais entendu des choses pareilles avant, tout cela venait de ses lectures, de sa sensibilité, de son propre mental qui n'était pas celui des petits copains qu'il avait connus à l'école. Il était complètement différent.
Comme je dis : « Si seulement je n'avais pas eu de père. » Je crois que souvent, le père... J'ai une conception qui vient peut-être de Sartre. Sartre a dit, à la fin des Mots : « Si mon père avait vécu, il se fût couché sur moi et m'eût écrasé. » C'est ce qui s'est un peu produit pour moi. C'est ce qui s'est peut-être produit pour Olivier.

17 septembre 2009



C'est là que j'ai rencontré des gens qui faisaient de la peinture et qui sont devenus des amis. C'est très important parce que cela a quand même joué un rôle dans ma vie, la peinture. J'étais très lié à un de ces peintres, il y en a un que je continue à voir, l'autre, nous nous sommes distancés. A l'époque, je n'avais pas du tout reçu une éducation qui m'orientait vers cette expression. Alors pourquoi la peinture ? Qu'est-ce qui a fait que. J'ai souvent pensé que c'était la peinture à défaut de l'écriture, parce que ça a été comme un défaut que je n'écrive pas. La lecture a tenu aussi un grand rôle dans ma vie. Sans les livres, que serais-je devenu ? Il est certain que les livres ont été un grand support. Sinon la vie ne me paraissait pas intéressante. Je crois que ce qui m'a rendu la vie intéressante, ce sont les livres. A tort ou à raison. Peut-être à tort parce que je ne sais pas à quoi, finalement, m'a servi la lecture. Elle n'a pas servi en tous les cas à sauver notre fille et notre fils. Peut-être même, je ne sais pas, cela les a perdus.

21 août 2009

Encore quelques mots au sujet de notre fils. Il y a tellement de choses que je n'ai pas pu dire, tellement de choses omises sur sa vie foudroyée si jeune. Il y a tellement de strates dans nos existences, même brèves, qu'il est impossible de tout dire. J'entendais récemment un disque que j'ai acheté il y a longtemps et que j'ai beaucoup écouté, les poèmes d'Aragon par Jean Ferrat. Jeune, je les ai beaucoup beaucoup écoutés. Aragon, dans un de ses poèmes, parle d'un « jeune homme singulier ». Ce jeune homme singulier, c'était Robert Desnos. Bien sûr, il n'a pas eu du tout le destin d'Olivier, mais je persiste à croire qu'Olivier était un jeune homme singulier. Cela me paraît essentiel de le dire. Et maintenant, je pourrais dire que sa sœur Florence était une jeune fille singulière.

L'Ombre du lézard


           Jusqu'à trois ans, aucun souvenir. A trois ans, autre famille nourricière, dans la ville où habite R., ma mère, qui a alors trente-deux ans et sa mère soixante-et-un. Quelques souvenirs de ces gens qui ont gardé J. C. trois ans, dans un quartier éloigné du centre-ville avec petit pavillon et jardin. Un des enfants de la famille me plaçait sur le porte-bagages de son vélo et descendait à toute pompe une rue. Ça m'amusait beaucoup, paraît-il, d'après ma mère. Sur une photo, elle tient dans ses bras un gros bébé bien portant qui mordille un grand hochet rond. Elle a l'air heureuse ; elle est avec son amie P. ; c'est sans doute en plein été, sous les arbres, il y a beaucoup d'herbe. Déjà, ces deux femmes, mère et grand-mère, m'ont sans arrêt en leur amour, leur possession. R., je ne la vois que de temps en temps, et plus tard, régulièrement.

         Il faut que je me dépêche, je n'ai plus guère de temps à perdre, bientôt soixante-cinq ans. Est-ce que je peux continuer à faire quelque chose avec des mots ? « Nulla dies sine linea ». Les dernières lignes des Mots, de Sartre, que j'ai lues comme tant d'autres de ma génération ; plus récemment La Cérémonie des adieux, de Beauvoir, après la mort du compagnon et ses Mémoires d'une jeune fille rangée, que j'ai découverts avec étonnement à l'adolescence. Les œuvres très philosophiques de Sartre, je les laisse à d'autres, je n'y comprendrais rien. J'étais, moi aussi, une espèce de jeune homme et de jeune fille rangés. Je parle de ces écrivains mais, je devrais en évoquer tant d'autres. Le temps presse, en finir, avec quoi ? On finit bien par finir. Dans mon enfance il y avait la tata, l'Odette, la Betty, R., il y en a tant et tant, et la marraine Léonie, et Paulette et Mizoune et la Marie et l'autre Marie, la Raymonde et mademoiselle A., mademoiselle B., mademoiselle C., et ainsi de suite. Beaucoup de ces demoiselles me donnaient des leçons, me soutenaient, me poussaient pour que j'aie un bon classement à l'école, car R. y tenait tellement. Je parlerai peut-être plus longuement de l'école. Mais d'abord, je vais prendre des raccourcis.
            J'ai sous les yeux, à côté de mon cahier, la carte postale d'une photo prise à Paris, en 1933, représentant une belle statue académique de la place de la Concorde, en fait une sirène, dont on aperçoit, sculptées, les écailles et un morceau de la queue ; elle serre, dressée contre sa poitrine, une grosse carpe qu'un ouvrier est occupé à nettoyer : d'une bouteille, il verse, à travers un filtre, un détergeant dans la gueule de l'énorme poisson pour la nettoyer des mousses ou des parasites. C'est une belle tête classique qui sourit, avec en arrière-plan dans la brume l'obélisque de Louxor, où sont gravés tous ces beaux hiéroglyphes, déchiffrés par le génial Champollion, un grand bâtiment encore plus loin, la Madeleine, encore une. Se tient à droite de la photo un monsieur à casquette qui regarde avec curiosité l'opération à laquelle se livre cet employé de la ville de Paris. Plus à droite, sur le bord, les trois quarts d'une grosse pomme de pin en pierre. J'avais oublié, maintenant que j'ai vu ces fontaines magnifiquement restaurées, que l'eau jaillit de ces carpes. J'aime le beau quatrain d'Apollinaire sur la carpe « Est-ce que la mort vous oublie, poissons de la mélancolie ? » Retrouver le fil, la pelote est longue à dévider et les fils s'embrouillent ; il faut démêler, faire passer, sortir un bout, en reprendre un autre, recommencer et recommencer ce long et patient travail de dévidage, de désembrouillage. Embrouillaminis, imbroglios, malentendus, griefs, ressentiments, regrets, chagrins, tristesse... Une histoire individuelle propre à chacun, propre à tous. « L'histoire d'un individu qui les vaut tous et qui vaut n'importe qui. » La dernière phrase de Sartre dans Les Mots.